La Baraka

Après plus d'un an, j'y suis. J'éteins le moteur de ma voiture dans laquelle une odeur de néoprène flotte. Les responsables tiennent dans une caisse rangée au fond du coffre : chaussures et pantalon marin. Cette odeur très caractéristique me rappelle avec insistance mes pêches lointaines au bord de mer. Il y a des odeurs que l'on oublie jamais.

Après plus d'un an de promesses non tenues donc, je suis garé chez mon oncle Jacques qui avec Fabienne m'attendent de pied ferme. Pour la réception, ce sera "simple" comme ils aiment à le dire : étrilles fraîchement pêchées, moules marinières, boudins, poulets, quiche, accompagnés, il en va de soi, de légumes maison. Toutes ces victuailles arrosées de bons vins. Dans la famille "je n'aurai pas le mal de mer", on coche déjà une case : ne pas avoir faim. Pour les deux dernières cases responsables du cirque stomacal marin il y a le froid : je suis équipé. Enfin la fatigue : je n'ai pas besoin de beaucoup de sommeil. On va donc pouvoir s'attaquer aux choses sérieuses et partir en mer.

Une parenthèse ce monde marin, car si la rivière me porte déjà loin, la mer elle, me soustrait de toute vie quotidienne à l'exception de celle du bateau. L'éloignement des côtes peut-être, ou bien la vision de ce "troupeau" de dauphins au soleil levant ...



Nous sommes bien sur ce bateau répondant au doux nom "Open Bar". Avec un sobriquet comme celui là, impossible d'aller chercher du chinchard (quoique…) avec un fil rouge : pêche aux leurres souples et son côté multi espèces si agréable.

Le démarrage fut laborieux, très laborieux avec des dérives qui s'enchaînent sans le moindre contact potable. Pour la démonstration, faudra revenir. Dans ce contexte où le mot "activité" ne règne pas en maître, nous allons apprendre l'un de l'autre. Le partage d'expérience, c'est aussi cela la pêche. Les années peuvent séparer, la passion lie toujours. 

Nous prenons l'option de passer en mode traîne. La traîne a cette magie de prospecter vite dans les coulées de la roche. Les explications et les anecdotes de mon oncle vont bon train, à l'image de nos leurres qui nous suivent derrière. La projection du fond, Jacques la connaît et m'annonce le moindre décrochement de roche avant son apparition sur le sondeur. Je ne perds pas une miette des écrans qui me livrent leurs secrets minute après minute sur ce secteur nouveau. Les quelques contacts que l'on a eus nous confirme des poissons disparates plus ou moins joueurs. Néanmoins Jacques sera le premier à sortir un poisson convenable. Nous aurions pu probablement faire grimper les scores, mais l'objectif n'était pas là.

Nous écumons dans cette mer miroir les postes où nous grattons, cherchons la bonne combinaison.

Changement de cannes pour retourner avec nos fleurets. C'est un secret pour personne le Black Minnow marche. C'est le leurre qui en limitant les accros nage de lui même sans besoin d'une technicité particulière. Vous l'aurez compris, nous martelons le fond au black minnow depuis la matinée. Le temps s'égraine toujours trop vite à la pêche et le retour au port est prévu dans une grosse heure. Je m'assois en fouillant ma sacoche. 

Que faire? 

Après tout, pourquoi continuer à s'obstiner avec ce leurre. Il fonctionne mais peut être tout simplement pas là et pas maintenant.

Pour changer tout, on change tout:
- une caudale et bien pas de caudale
- un leurre trapu et bien partons sur un leurre effilé
- 25g passons à 14g

Seul le coloris naturel reste inchangé car avec cette eau cristalline, impossible pour moi de partir sur des teintes plus marquées.

Avec en tête des animations bien plus agressives, me voilà à balancer ce leurre par 14m d'eau où la moindre erreur de lecture de la dérive est sanctionnée par une perte du fond et avec l'efficacité du leurre.

Premier lancé et première touche ratée magistralement. Je recommence l'opération en décalant légèrement mon lancer. Pas le temps de tomber au fond qu'un grattement déclenche un ferrage lourd (j'étais plutôt loin). Le poisson s'avance vers le bateau en zigzagant. Combat inconnu dans le repertoire d'autant plus qu'un grattement est perceptible dans la tresse. Des dents ? La suite démentira ce ressenti qui est en réalité une dorsale...

J'annonce à mon oncle :

"Une chose est sûre : je ne sais pas ce que sais:" Nous voilà bien avancés. 

Ce à quoi il me répond :

"Ne le décroche pas celui là" faisant référence à un beau poisson perdu à la traîne une poignée de minutes avant. Non non, je n'ai pas du tout la pression.

Scoumoune ou baraka?

Au bateau, le combat change radicalement faisant place à des rushs combinés à un poids conséquent. C'est pas gagné ayant sous estimé l'adversaire. Après 2 allers retours le coup de boule caractéristique ne laisse plus de doute: c'est un bar. Attention les yeux car là, il y a un client. Epuisette à la main, mon oncle attend entre excitation et fébrilité de voir la bête. Je suis concentré de mon côté prêt à lui ramener l'offrande. J'encaisse coup de tête sur coup de tête quand la silhouette noire vient à percer par 4m de fond avec cette visibilité. Confirmation de nos estimations. Il glisse dans l'épuisette pour une courte séance photo. La magie de la pêche qui transforme une intuition en un poisson trophée.






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